22 août 2013

Lettre à ma grande fille


« Tout est cousu d'enfance. »
Witold Gombrowicz



« Quand j'eus atteint l'âge de sept ans, un soir après le dîner, mon père m'appela.
Il me dit : Cette nuit va être celle de la mort de ta petite enfance. »
Amadou Hampaté Bâ



À l'âge de la raison, l'enfant quitte peu à peu cet état incertain, imprégné de magie, où le monde s'ordonnait autour de ses rêves. L'esprit classe maintenant comme il lui plaît les chiffres, les mots et les images. L'école est un nouveau pays dont il apprend les lois.
Son univers s'élargit. Il perçoit l'immensité de choses...

Chère Angélique,

Ce soir, tu étais fébrile à l'idée que demain, tu aurais 7 ans. Déjà. En ce moment même, je le suis également, car tu atteindras l'âge de raison et laisseras derrière toi une partie de ton enfance, une partie de notre histoire. En effet, tu grandis et c'est tout un pan de notre vie qui fuit. Un peu plus tôt, en revenant de la maison de grand-maman Lise, car tu y étais durant ma première journée de la rentrée, tu ne cessais de me parler de ton anniversaire et des Monster High... Tu fredonnais des chansons à la mode et je t'ai vue, dans le rétroviseur, qui devenais déjà une grande jeune fille, bientôt une jeune femme!

Avant le coucher, tu as voulu que je te lise une histoire, mais j'ai préféré te montrer un album de photos de toi ainsi que quelques textes écrits lors de ta naissance. Ce qui m'a frappée et émue en relisant tous ces mots (les miens et ceux de papa), c'est que tu es née à un moment de ma vie durant lequel j'étais pleinement sereine, calme et totalement en harmonie avec moi-même, entièrement connectée avec mon coeur. Papa a même écrit qu'à l'hôpital, je préparais ton arrivée en visualisant une bulle de lumière avec des anges pour nous protéger. En fait, pendant le travail de l'accouchement, je sentais cette douce et imperceptible lumière de l'au-delà qui frôle notre monde avec l'arrivée d'un enfant. Tu étais là, puis je t'attendais sagement et doucement. Jamais je n'ai eu peur, jamais je n'ai souffert. À chaque contraction, je visualisais une vague qui arrivait et repartait aussitôt. À chaque contraction, je me disais que j'étais toujours un peu plus près de toi, un peu plus près de te serrer dans mes bras, de te souhaiter la bienvenue parmi nous. De manière toute naturelle, tu es venue au monde sans même que le médecin ait le temps d'arriver. Trois poussées et tu étais née.

Ce fut la plus belle expérience de toute ma vie. Je sentais l'intime et l'ultime initiation que les femmes vivaient depuis des millénaires et je me sentais vraiment privilégiée. Je me disais même à quel point notre société accordait peu d'importance, tout comme à la mort d'ailleurs, à ce moment extraordinaire dans la vie d'un être humain. Toutes les femmes, sans exception, peu importe leur âge, devraient avoir le luxe et le droit d'accoucher dans un endroit magnifique dont l'ambiance et l'atmosphère favorisent la paix et le calme. De plus, à la base, au commencement de tout, les femmes, dans le plus grand respect, devraient détenir le pouvoir de choisir si elles veulent garder ou non leur enfant au début de la grossesse. Décision extrêmement insoutenable moralement si l'on décide d'interrompre une vie qui croît, crois-moi, mais l'avenir de l'humanité se joue dans ces moments décisifs. Bref, je rêvais d'un monde meilleur, j'en rêve encore d'ailleurs, surtout quand je songe à ce que tu deviens et à ce que tu deviendras.

Je rêve d'un monde où l'enfance est reine sans que l'enfant ne soit roi. Je rêve d'un monde où l'école nous apprend la beauté de la lecture, le pouvoir de l'écriture et la liberté de la création sans que l'esprit ne soit fermé par les dogmes et les préjugés. Je rêve de tout cela en te regardant évoluer depuis 7 ans. Déjà. Je t'aime de tout mon coeur et te souhaite, pour les 7 prochaines années, de découvrir le monde en gardant ton coeur angélique. Je sais, puis tu t'en doutes déjà, notre monde est loin d'être parfait, loin d'être le meilleur qui soit. Tu me poses d'ailleurs beaucoup de questions sur la mort, la pauvreté, l'état de la Terre, la guerre... Tu seras parfois étonnée, peut-être choquée, de connaître tout ce qui se trame ici-bas. Tu te demanderas même pourquoi tu es née sur cette drôle de planète sens dessus dessous. Sans te cacher les vérités qui te garderaient dans l'ignorance, je tenterai de garder tes rêves et tes idéaux bien intacts. Une belle et heureuse vie s'offre à toi, puis je serai toujours là pour te montrer une partie du chemin. Tu auras beaucoup de décisions à prendre sur la propre route de ta destinée, mais je pourrai t'éclairer à la lumière de mon histoire personnelle qui, si tu le désires, pourrait t'éviter quelques ennuis. De toute façon, écoute ton coeur et tu seras toujours sur la voie du bonheur.

Je t'aime, toi qui, avec papa, as tracé et écrit le début de ma plus belle histoire d'amour...
Maman Isabelle xxxxxxx

4 commentaires:

  1. OUF Isabelle! Tu m'as d'abord touchée par les belles photos d'Angélique qui lit à sa soeur, puis fait sourire avec le clin d'oeil à ce qu'elle lit et ensuite soufflée par la justesse, la sagesse et la profondeur de tes mots... Angélique, elle grandit dans un foyer béni! Bonne fête jeune demoiselle xxx

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    1. En publiant les photos, j'ai pensé à toi, chère Élise! Mes filles et mon fils ADORENT ton histoire! :) xxx

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  2. Une très belle lettre d'amour à ta merveilleuse fille. Je me souviens moi aussi de ta sérénité en ce 23 août 2006. Tu étais belle de tout l'amour donné et reçu. De ces moments bénis, il faut garder le souvenir...

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  3. Je suis loin de mes enfants depuis plus d'une semaine maintenant pour cause de fin de thèse (je vais les retrouver dans quelques jours) et cette lettre à ta fille me touche profondément. J'y retrouve les sensations et les pensées arrivées avec mon premier fils, un bonheur inégalé qui se répète chaque jour depuis presque 5 ans.
    Merci beaucoup pour l'émotion et la profondeur. Tout cela est très précieux.

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